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MARCELINE.

n’était pas tout à fait à la hauteur. Ce que j’aurais voulu pour lui… voyons un peu… »… Mlle Anna battit des paupières et parut passer en revue les jeunes filles à marier de sa connaissance : « Charlotte Corday ? Théroigne ?… ou bien la fille de mon marchand de volailles, une superbe gaillarde qui n’a pas froid aux yeux et qui aurait fait une fameuse tricoteuse !… Ah ! voici notre thé ! Mon petit chat, je te recommande ces carrés à la frangipane. Je les connais : ils sont exquis !

Et elle entama le gâteau d’un air attentif et gourmand. Quand on abordait Mademoiselle Anna, on ne savait jamais si elle allait vous parler de Platon, du radium ou des mœurs des coléoptères. On l’arrachait difficilement à ses préoccupations favorites. Mais sitôt que l’on y avait réussi, elle vous écoutait avec complaisance et l’on pouvait se fier à son amitié.

— Comment va ton mari ? dit-elle en s’essuyant la bouche. Je l’ai rencontré ce matin et il m’a paru florissant.

— Il va très bien. Il engraisse un peu trop.

— Mais non, mais non. Les hommes gros ont du bon. — Rappelle-toi Jules César, quand il dit : Je veux près de moi des hommes gras, des hommes à face luisante et qui dorment la nuit.

— Et les femmes ? Exigez-vous aussi qu’elles aient la face luisante et qu’elles dorment la nuit ?… En ce cas je suis loin de compte !

— Non. Les femmes, c’est autre chose. — D’ailleurs, en ce moment, ton allure est plutôt imposante. Mais au fait, parlons donc de ce petit individu. Et, d’abord, comment s’appelle-t-il ?

— Ce n’est pas un petit individu, c’est une petite fille. Elle s’appelle Marceline.

— Une petite fille ! Voyez-vous cela ! Eh ! mais cela t’ira très bien d’avoir une petite fille — quoique,