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MARCELINE.

obscure, mais confortablement chauffée et où on avait l’agrément de n’être pas gêné par les voisins. Seules, deux vieilles dames bavardaient dans un coin. Mademoiselle Anna posa sur une table une serviette de cuir bourrée de livres, puis elle s’assit en face de Laure et la considéra longuement, d’un œil rêveur :

— Chère, dit-elle enfin, je pensais justement à toi à propos de Mme Danton. Je veux dire l’autre, la deuxième — car tu sais que Danton s’est marié deux fois. Non ? Eh bien ! il s’est marié deux fois. Sa première femme était comme qui dirait une bonne matrone de mon étoffe — mais la seconde était une fine, sensible petite créature dans ton genre. Elle s’appelait Louise Gelys, et Boilly l’a représentée instruisant un fils de Danton… Beaux cheveux, jolie taille et un petit air intéressant… Enfin, une caillette fort appétissante. La gravure est au Louvre. Si tu veux nous irons l’y voir un de ces quatre matins ?

Laure souriait :

— C’est une idée !

— N’est-ce pas ? Oui, vraiment, nous ferons cela un de ces jours.

Mlle Anna essuya ses lunettes avec enthousiasme, et sembla contempler sur le mur qui lui faisait face quelque spectacle attendrissant… Puis elle se pencha sur la table, baissa la voix et prit la figure de quelqu’un qui va faire un potin :

— Elle n’avait pas dix-sept ans, figure-toi. Et le pauvre cher homme en était amoureux comme un fou, de sorte que pour faire plaisir aux parents, qui étaient royalistes à tous crins, il a accepté le mariage religieux, la confession et tout le tremblement. Tu penses que ses copains n’étaient pas enchantés !

— Je le pense !

— Oui… C’est peut-être même ce qui a commencé sa ruine. Et puis enfin, la pauvre douce petite âme