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MARCELINE.

Laure s’arrêta devant une pâtisserie et s’absorba dans une méditation profonde.

En ce moment la petite n’était encore qu’un embryon, une petite vie obscure et anonyme, suspendue dans un monde lointain et chimérique. Mais plus tard, dans cinq ou six mois… Quand Laure était triste ou découragée elle voyait la petite avec une grosse tête, une pâleur délicate, et ce regard profond et solennel qui surprend chez certains enfants rachitiques. Mais, sitôt le nuage passé, la petite devenait fraîche et joyeuse. Elle avait des yeux innocents, une bouche entr’ouverte et vermeille, de petits cheveux dorés et bouclés. Elle trottait, elle parlait… elle avait quatre ans — et l’on pouvait déjà lui confier des messages : « Va dire à Papa que Maman l’attend !… Va ! va vite ! » Et la petite s’éloigne en poussant des cris d’hirondelle. Cela se passait toujours dans un jardin. Des deux côtés du chemin fleurissaient des œillets et des campanules. Et il y avait encore une haie où séchait du linge — et le cliquetis léger d’un sécateur. Laure examinait sans les voir les tentations multiples de l’étalage, et elle se demandait avec mélancolie si ce rêve ambitieux trouverait un jour à se réaliser… Cela éblouit comme un mirage et c’est une chose toute simple, un bonheur facile — et peut-être tout proche. Il suffirait d’une circonstance fortuite, du moindre hasard complaisant… Elle se souvint d’avoir entendu son mari se plaindre du loyer trop lourd, et discuter avec Mme Moissy les inconvénients d’un déménagement présumé. Mais Octave faisait des projets pour le plaisir d’en faire — c’était son mode d’activité. Et Laure ne lui prêtait qu’une attention distraite. Cette fois, pourtant, il y aurait lieu d’écouter… et même, au besoin, d’approuver. Déménager, c’était tenter la chance — car à supposer que Mme Moissy s’obstinât à suivre son fils,