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Les Exploits d’Iberville

— Dame ! mon commandant, c’est pas à dire, il y a bien des années que nous bourlinguons ensemble, puisque c’est moi qui vous ai appris à distinguer un mat de misaine d’un mat d’artimon.

— Oui, vieux, il y a vingt-trois années — j’avais quatorze ans — et il y a vingt-trois années que j’ai appris à te connaître, car nous nous sommes peu quittés. Eh bien ! je te tiens pour un matelot fini, dont les conseils ne sont pas à dédaigner dans les circonstances, extraordinaires.

Par bonheur Cacatoès avait eu la précaution d’ôter sa chique avant d’entrer ; car, certainement, il l’eût avalée, tant l’émotion le gagna…

Il allongea le corps, qui prit l’apparence d’un cordage noir étiré, roula ses petits yeux et porta la main à son gosier, témoignage non équivoque du contentement que la confiance du commandant lui causait.

Si Cacatoès était loquace avec ses camarades, dans ses moments de bonne humeur, alors que le bonnet de laine gouvernait bien, en face de ses supérieurs il était d’une timidité excessive et ne trouvait guère autre chose, pour exprimer sa pensée, qu’une longue série de jurons sonores.

Hélas ! faut-il le constater en passant ? Les descendants de tous les Cacatoès du pays n’ont pas rompu avec la tradition et les terriens, sous ce rapport, ne leur en cèdent pas d’avantage.