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Les Exploits d’Iberville

mon esprit, je vous ai toujours trouvé respectueux, empressé et bon. J’attribuais ces attentions à une espèce de témoignage de reconnaissance pour les soins que je donnais à votre mère et à votre sœur, et jamais, croyez-le bien, il ne m’est venu à la pensée qu’elles m’étaient adressées directement. C’est pourquoi je vous ai traité en camarade, avec une tendresse que vous auriez pu attribuer à des calculs de coquetterie ou d’ambition.

« Eh bien ! mon ami, je ne veux pas que vous ayez cette pensée, et voilà pourquoi je m’éloigne sans vous revoir.

« N’allez pas m’accuser de manque de sensibilité, de fougue, de cœur enfin. Car il pourra paraître étrange que je ne ressente pas pour vous, que je ne partage pas vos sentiments pour moi. Mon ami, le cœur ne se donne pas deux fois dans la vie : quand j’ai été enlevée par les sauvages dans mon pays, j’avais donné le mien et échangé des serments. Ces serments existent encore, et quoique je sois destinée peut-être à mourir loin du sol natal, je dois y demeurer fidèle, et rien, entendez-vous, rien au monde ne me fera parjurer.

« Consolez-vous, mon ami, et oubliez-moi. Laissez au temps — ce grand maître des plus fortes douleurs — le soin de vous guérir d’un sentiment qui n’est peut-être pas aussi profond que vous le pensez. Plus tard, quand vous aurez dit adieu à la première jeunesse, quand une compagne digne de vous sera venue