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avait une amie, appelée mademoiselle d’Ette, qui passait pour méchante, et qui vivait avec le chevalier de Valory, qui ne passait pas pour bon. Je crois que le commerce de ces deux personnes fit tort à madame d’Épinay, à qui la nature avait donné, avec un tempérament très-exigeant, des qualités excellentes pour en régler ou racheter les écarts. M. de Francueil lui communiqua une partie de l’amitié qu’il avait pour moi, et m’avoua ses liaisons avec elle, dont, par cette raison, je ne parlerais pas ici si elles ne fussent devenues publiques au point de n’être pas même cachées à M. d’Épinay. M. de Francueil me fit même sur cette dame des confidences bien singulières, qu’elle ne m’a jamais faites à moi-même, et dont elle ne m’a jamais cru instruit ; car je n’en ouvris ni n’en ouvrirai de ma vie la bouche ni à elle ni à qui que ce soit. Toute cette confiance de part et d’autre rendait ma situation très-embarrassante surtout avec madame de Francueil, qui me connaissait assez pour ne pas se défier de moi, quoique en liaison avec sa rivale. Je consolais de mon mieux cette pauvre femme, à qui son mari ne rendait assurément pas l’amour qu’elle avait pour lui. J’écoutais séparément ces trois personnes ; je gardais leurs secrets avec la plus grande fidélité, sans qu’aucune des trois m’en arrachât jamais aucun de ceux des deux autres, et sans dissimuler à chacune des deux femmes mon attachement pour sa rivale. Madame de Francueil, qui voulait se servir de moi pour bien des choses, essuya des refus formels ; et madame d’Épinay, m’ayant voulu charger une fois d’une lettre pour Francueil, non-seulement en reçut un pareil, mais encore une déclaration très-nette que si elle voulait me chasser pour jamais de chez elle, elle n’avait qu’à me faire une seconde fois pareille proposition. Il faut rendre justice à madame d’Épinay : loin que ce procédé parût lui déplaire, elle en parla à Francueil avec éloge, et ne m’en reçut pas moins bien. C’est ainsi que, dans des relations orageuses entre trois personnes que j’avais à ménager, dont je dépendais en quelque sorte, et pour qui j’avais de l’attachement, je conservai jusqu’à la fin leur amitié, leur estime, leur confiance, en me conduisant avec douceur et complaisance, mais toujours avec droiture et fermeté. Malgré ma bêtise et ma gaucherie, madame d’Épinay voulut me mettre des amusements de la Chevrette, château près de Saint-Denis, appartenant à M. de