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ancienne ou nouvelle. Deux ans après, Sauttersheim retourna à Strasbourg, d’où il m’écrivit, et où il est mort. Voilà l’histoire abrégée de nos liaisons, et ce que je sais de ses aventures : mais en déplorant le sort de ce malheureux jeune homme, je ne cesserai jamais de croire qu’il était bien né, et que tout le désordre de sa conduite fut l’effet des situations où il s’est trouvé.

Telles furent les acquisitions que je fis à Motiers, en fait de liaisons et de connaissances. Qu’il en aurait fallu de pareilles pour compenser les cruelles pertes que je fis dans le même temps !

La première fut celle de M. de Luxembourg, qui, après avoir été tourmenté longtemps par les médecins, fut enfin leur victime, traité de la goutte, qu’ils ne voulurent point reconnaître, comme d’un mal qu’ils pouvaient guérir.

Si l’on doit s’en rapporter là-dessus à la relation que m’en écrivit la Roche, l’homme de confiance de madame la maréchale, c’est bien par cet exemple, aussi cruel que mémorable, qu’il faut déplorer les misères de la grandeur.

La perte de ce bon seigneur me fut d’autant plus sensible, que c’était le seul ami vrai que j’eusse en France ; et la douceur de son caractère était telle, qu’elle m’avait fait oublier tout à fait son rang, pour m’attacher à lui comme à mon égal. Nos liaisons ne cessèrent point par ma retraite, et il continua de m’écrire comme auparavant. Je crus pourtant remarquer que l’absence ou mon malheur avait attiédi son affection. Il est bien difficile qu’un courtisan garde le même attachement pour quelqu’un qu’il sait être dans la disgrâce des puissances. J’ai jugé d’ailleurs que le grand ascendant qu’avait sur lui madame de Luxembourg ne m’avait pas été favorable, et qu’elle avait profité de mon éloignement pour me nuire dans son esprit. Pour elle, malgré quelques démonstrations affectées et toujours plus rares, elle cacha moins de jour en jour son changement à mon égard. Elle m’écrivit quatre ou cinq fois en Suisse, de temps à autre, après quoi elle ne m’écrivit plus du tout ; et il fallait toute la prévention, toute la confiance, tout l’aveuglement où j’étais encore, pour ne pas voir en elle plus que du refroidissement envers moi.

Le libraire Guy, associé de Duchesne, qui depuis moi fréquentait beaucoup l’hôtel de Luxembourg, m’écrivit que j’étais sur le testament