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de la Sorbonne : je n’en crus rien. De quoi pouvait se mêler la Sorbonne dans cette affaire ? Voulait-elle assurer que je n’étais pas catholique ? Tout le monde le savait. Voulait-elle prouver que je n’étais pas bon calviniste ? Que lui importait ! C’était prendre un soin bien singulier ; c’était se faire les substituts de nos ministres. Avant que d’avoir vu cet écrit, je crus qu’on le faisait courir sous le nom de la Sorbonne, pour se moquer d’elle ; je le crus bien plus encore après l’avoir lu. Enfin, quand je ne pus plus douter de son authenticité, tout ce que je me réduisis à croire fut qu’il fallait mettre la Sorbonne aux Petites-Maisons.

Un autre écrit m’affecta davantage, parce qu’il venait d’un homme pour qui j’eus toujours de l’estime et dont j’admirais la constance en plaignant son aveuglement. Je parle du mandement de l’archevêque de Paris contre moi.

Je crus que je me devais d’y répondre. Je le pouvais sans m’avilir ; c’était un cas à peu près semblable à celui du roi de Pologne. Je n’ai jamais aimé les disputes brutales à la Voltaire. Je ne sais me battre qu’avec dignité, et je veux que celui qui m’attaque ne déshonore pas mes coups, pour que je daigne me défendre. Je ne doutais point que ce mandement ne fût de la façon des jésuites ; et quoiqu’ils fussent alors malheureux eux-mêmes, j’y reconnaissais toujours leur ancienne maxime, d’écraser les malheureux. Je pouvais donc aussi suivre mon ancienne maxime, d’honorer l’auteur titulaire et de foudroyer l’ouvrage, et c’est ce que je crois avoir fait avec assez de succès.

Je trouvai le séjour de Motiers fort agréable ; et, pour me déterminer à y finir mes jours, il ne me manquait qu’une subsistance assurée : mais on y vit assez chèrement, et j’avais vu renverser tous mes anciens projets par la dissolution de mon ménage, par l’établissement d’un nouveau, par la vente ou dissipation de tous mes meubles, et par les dépenses qu’il m’avait fallu faire depuis mon départ de Montmorency. Je voyais diminuer journellement le petit capital que j’avais devant moi. Deux ou trois ans suffisaient pour en consumer le reste, sans que je visse aucun moyen de le renouveler, à moins de recommencer à faire des livres, métier funeste auquel j’avais déjà renoncé.

Persuadé que tout changerait bientôt à mon égard, et que le public,