Page:Rousseau - Les Confessions, Launette, 1889, tome 2.djvu/383

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


LIVRE DOUZIÈME


1762



I ci commence l’œuvre de ténèbres dans lequel, depuis huit ans, je me trouve enseveli, sans que, de quelque façon que je m’y sois pu prendre, il m’ait été possible d’en percer l’effrayante obscurité. Dans l’abîme de maux où je suis submergé, je sens les atteintes des coups qui me sont portés ; j’en aperçois l’instrument immédiat ; mais je ne puis voir ni la main qui les dirige, ni les moyens qu’elle met en œuvre. L’opprobre et les malheurs tombent sur moi comme d’eux-mêmes, et sans qu’il y paraisse. Quand mon cœur déchiré laisse échapper des gémissements, j’ai l’air d’un homme qui se plaint sans sujet ; et les auteurs de ma ruine ont trouvé l’art inconcevable de rendre le public complice de leur complot, sans qu’il s’en doute lui-même, et sans qu’il en aperçoive l’effet. En narrant