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« Ce 1er août. (Liasse D, n° 26.)

« Grâce à vos soins, mon cher Philosophe, l’abbé est sorti de la Bastille, et sa détention n’aura point d’autres suites. Il part pour la campagne, et vous fait, ainsi que moi, mille remerciements et compliments. Vale, et me ama. »

L’abbé m’écrivit aussi quelques jours après une lettre de remerciement (liasse D, n° 29), qui ne me parut pas respirer une certaine effusion de cœur, et dans laquelle il semblait atténuer en quelque sorte le service que je lui avais rendu ; et, à quelque temps de là, je trouvai que d’Alembert et lui m’avaient en quelque sorte, je ne dirai pas supplanté, mais succédé auprès de madame de Luxembourg, et que j’avais perdu près d’elle autant qu’ils avaient gagné. Cependant je suis bien éloigné de soupçonner l’abbé Morellet d’avoir contribué à ma disgrâce ; je l’estime trop pour cela. Quant à M. d’Alembert, je n’en dis rien ici, j’en reparlerai dans la suite.

J’eus dans le même temps une autre affaire, qui occasionna la dernière lettre que j’ai écrite à M. de Voltaire, lettre dont il a jeté les hauts cris, comme d’une insulte abominable, mais qu’il n’a jamais montrée à personne. Je suppléerai ici à ce qu’il n’a pas voulu faire.

L’abbé Trublet, que je connaissais un peu, mais que j’avais très-peu vu, m’écrivit le 13 juin 1760 (liasse D, n° 11), pour m’avertir que M. Formey, son ami et correspondant, avait imprimé dans son journal ma lettre à M. de Voltaire sur le désastre de Lisbonne. L’abbé Trublet voulait savoir comment cette impression s’était pu faire, et, dans son tour d’esprit fin et jésuitique, me demandait mon avis sur la réimpression de cette lettre, sans vouloir me dire le sien. Comme je hais souverainement les ruseurs de cette espèce, je lui fis les remerciements que je lui devais ; mais j’y mis un ton dur qu’il sentit, et qui ne l’empêcha pas de me pateliner encore en deux ou trois lettres, jusqu’à ce qu’il sût tout ce qu’il avait voulu savoir.

Je compris bien, quoi qu’en pût dire Trublet, que Formey n’avait point trouvé cette lettre imprimée et que la première impression en venait de lui. Je le connaissais pour un effronté pillard, qui, sans façon, se faisait un revenu des ouvrages des autres, quoiqu’il n’y eût pas mis encore l’impudence incroyable d’ôter d’un livre déjà public