Page:Rousseau - Les Confessions, Launette, 1889, tome 2.djvu/308

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de zèle pour mon service, il ne parlait jamais de moi que les larmes aux yeux ; mais quand il me venait voir, il gardait le plus profond silence sur toutes ces liaisons, et sur tout ce qu’il savait devoir m’intéresser. Au lieu de me dire ce qu’il avait appris, ou dit, ou vu, qui m’intéressait, il m’écoutait, m’interrogeait même. Il ne savait jamais rien de Paris que ce que je lui en apprenais ; enfin, quoique tout le monde me parlât de lui, jamais il ne me parlait de personne : il n’était secret et mystérieux qu’avec son ami. Mais laissons quant à présent Coindet et madame de Verdelin ; nous y reviendrons dans la suite.

Quelque temps après mon retour à Mont-Louis, La Tour, le peintre, m’y vint voir, et m’apporta mon portrait en pastel, qu’il avait exposé au salon, il y avait quelques années. Il avait voulu me donner ce portrait, que je n’avais pas accepté. Mais madame d’Épinay, qui m’avait donné le sien et qui voulait avoir celui-là, m’avait engagé à le lui redemander. Il avait pris du temps pour le retoucher. Dans cet intervalle, vint ma rupture avec madame d’Épinay ; je lui rendis son portrait ; et n’étant plus question de lui donner le mien, je le mis dans ma chambre au petit château. M. de Luxembourg l’y vit, et le trouva bien ; je le lui offris, il l’accepta ; je le lui envoyai. Ils comprirent, lui et madame la maréchale, que je serais bien aise d’avoir les leurs. Ils les firent faire en miniature, de très bonne main, les firent enchâsser dans une boîte à bonbons, de cristal de roche, montée en or, et m’en firent le cadeau d’une façon très galante, dont je fus enchanté. Madame de Luxembourg ne voulut jamais consentir que son portrait occupât le dessus de la boîte. Elle m’avait reproché plusieurs fois que j’aimais mieux M. de Luxembourg qu’elle ; et je ne m’en étais point défendu, parce que cela était vrai. Elle me témoigna bien galamment, mais bien clairement, par cette façon de placer son portrait, qu’elle n’oubliait pas cette préférence.

Je fis, à peu près dans ce même temps, une sottise qui ne contribua pas à me conserver ses bonnes grâces. Quoique je ne connusse point du tout M. de Silhouette, et que je fusse peu porté à l’aimer, j’avais une grande opinion de son administration. Lorsqu’il commença d’appesantir sa main sur les financiers, je vis qu’il n’entamait pas son opération dans un temps favorable ; je n’en fis pas des vœux moins ardents pour son succès, et quand j’appris qu’il était déplacé,