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très-innocentes que sa belle-sœur m’écrivait. Je voulus qu’il apprît ces détails de la bouche même des personnes qu’elle avait tenté de séduire. Thérèse le lui fit exactement : mais que devins-je quand ce fut le tour de la mère, et que je l’entendis déclarer et soutenir que rien de cela n’était à sa connaissance ! Ce furent ses termes, et jamais elle ne s’en départit. Il n’y avait pas quatre jours qu’elle m’en avait répété le récit à moi-même, et elle me dément en face devant mon ami ! Ce trait me parut décisif, et je sentis alors vivement mon imprudence d’avoir gardé si longtemps une pareille femme auprès de moi. Je ne m’étendis point en invectives contre elle ; à peine daignai-je lui dire quelques mots de mépris. Je sentis ce que je devais à la fille, dont l’inébranlable droiture contrastait avec l’indigne lâcheté de la mère. Mais dès lors mon parti fut pris sur le compte de la vieille, et je n’attendis que le moment de l’exécuter.

Ce moment vint plus tôt que je ne l’avais attendu. Le 10 décembre, je reçus de madame d’Épinay réponse à ma précédente lettre. En voici le contenu :

« À Genève, le 1er décembre 1757. (Liasse B, n° 11.)

« Après vous avoir donné, pendant plusieurs années, toutes les marques possibles d’amitié et d’intérêt, il ne me reste qu’à vous plaindre. Vous êtes bien malheureux. Je désire que votre conscience soit aussi tranquille que la mienne. Cela pourrait être nécessaire au repos de votre vie.

« Puisque vous vouliez quitter l’Ermitage, et que vous le deviez, je suis étonnée que vos amis vous aient retenu. Pour moi, je ne consulte point les miens sur mes devoirs, et je n’ai plus rien à vous dire sur les vôtres. »

Un congé si imprévu, mais si nettement prononcé, ne me laissa pas un instant à balancer. Il fallait sortir sur-le-champ, quelque temps qu’il fît, en quelque état que je fusse, dussé-je coucher dans les bois et sur la neige, dont la terre était alors couverte, et quoi que pût dire et faire madame d’Houdetot ; car je voulais bien lui complaire en tout, mais non pas jusqu’à l’infamie.

Je me trouvai dans le plus terrible embarras où j’aie été de mes