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nous écrivions ordinairement par la poste ou par le messager de Montmorency, et ce fut la première et l’unique fois qu’il se servit de cette voie-là.

Quand le premier transport de mon indignation me permit d’écrire, je lui traçai précipitamment la réponse suivante, que je portai sur-le-champ, de l’Ermitage où j’étais pour lors, à la Chevrette, pour la montrer à madame d’Épinay, à qui, dans mon aveugle colère, je la voulus lire moi-même, ainsi que le billet de Diderot.

« Mon cher ami, vous ne pouvez savoir ni la force des obligations que je puis avoir à madame d’Épinay, ni jusqu’à quel point elles me lient, ni, si elle a réellement besoin de moi dans son voyage, ni si elle désire que je l’accompagne, ni s’il m’est possible de le faire, ni les raisons que je puis avoir de m’en abstenir. Je ne refuse pas de discuter avec vous tous ces points ; mais, en attendant, convenez que me prescrire si affirmativement ce que je dois faire, sans vous être mis en état d’en juger, c’est, mon cher philosophe, opiner en franc étourdi. Ce que je vois de pis à cela, est que votre avis ne vient pas de vous. Outre que je suis peu d’humeur à me laisser mener sous votre nom par le tiers et le quart, je trouve à ces ricochets certains détours qui ne vont pas à votre franchise, et dont vous ferez bien, pour vous et pour moi, de vous abstenir désormais.

« Vous craignez qu’on n’interprète mal ma conduite ; mais je défie un cœur comme le vôtre d’oser mal penser du mien. D’autres peut-être parleraient mieux de moi, si je leur ressemblais davantage. Que Dieu me préserve de me faire approuver d’eux ! que les méchants m’épient et m’interprètent : Rousseau n’est pas fait pour les craindre, ni Diderot pour les écouter.

« Si votre billet m’a déplu, vous voulez que je le jette au feu, et qu’il n’en soit plus question. Pensez-vous qu’on oublie ainsi ce qui vient de vous ? Mon cher, vous faites aussi bon marché de mes larmes dans les peines que vous me donnez, que de ma vie et de ma santé dans les soins que vous m’exhortez à prendre. Si vous pouviez vous corriger de cela, votre amitié m’en serait plus douce, et j’en deviendrais moins à plaindre. »

En entrant dans la chambre de madame d’Épinay, je trouvai