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« Je prends part au chagrin que vous donne la maladie de madame votre mère ; mais vous voyez que votre peine n’approche pas de la mienne. On souffre moins encore à voir malades les personnes qu’on aime, qu’injustes et cruelles.

« Adieu, ma bonne amie : voici la dernière fois que je vous parlerai de cette malheureuse affaire. Vous me parlez d’aller à Paris, avec un sang-froid qui me réjouirait dans un autre temps. »

J’écrivis à Diderot ce que j’avais fait au sujet de madame le Vasseur, sur la proposition de madame d’Épinay elle-même ; et madame le Vasseur ayant choisi, comme on peut bien croire, de rester à l’Ermitage, où elle se portait très bien, où elle avait toujours compagnie, et où elle vivait très-agréablement, Diderot, ne sachant plus de quoi me faire un crime, m’en fit un de cette précaution de ma part, et ne laissa pas de m’en faire un autre de la continuation du séjour de madame le Vasseur à l’Ermitage, quoique cette continuation fût de son choix, et qu’il n’eût tenu et ne tînt toujours qu’à elle de retourner vivre à Paris, avec les mêmes secours de ma part qu’elle avait auprès de moi.

Voilà l’explication du premier reproche de la lettre de Diderot, n° 33. Celle du second est dans sa lettre n° 34. « Le Lettré (c’était un nom de plaisanterie donné par Grimm au fils de madame d’Épinay), le Lettré a dû vous écrire qu’il y avait sur le rempart vingt pauvres qui mouraient de faim et de froid, et qui attendaient le liard que vous leur donniez. C’est un échantillon de notre petit babil… et si vous entendiez le reste, il vous amuserait comme cela. »

Voici ma réponse à ce terrible argument, dont Diderot paraissait si fier.

« Je crois avoir répondu au Lettré, c’est-à-dire au fils d’un fermier général, que je ne plaignais pas les pauvres qu’il avait aperçus sur le rempart attendant mon liard ; qu’apparemment il les en avait amplement dédommagés ; que je l’établissais mon substitut ; que les pauvres de Paris n’auraient pas à se plaindre de cet échange ; que je n’en trouverais pas aisément un aussi bon pour ceux de Montmorency, qui en avaient beaucoup plus de besoin. Il y a ici un bon vieillard respectable, qui, après avoir passé sa vie à travailler,