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LIVRE SECOND


1728-1731



A utant le moment où l’effroi me suggéra le projet de fuir m’avait paru triste, autant celui où je l’exécutai me parut charmant. Encore enfant, quitter mon pays, mes parents, mes appuis, mes ressources ; laisser un apprentissage à moitié fait sans savoir mon métier assez pour en vivre ; me livrer aux horreurs de la misère sans avoir aucun moyen d’en sortir ; dans l’âge de la faiblesse et de l’innocence, m’exposer à toutes les tentations du vice et du désespoir ; chercher au loin les maux, les erreurs, les pièges, l’esclavage et la mort, sous un joug bien plus inflexible que celui que je n’avais pu souffrir ; c’était là ce que j’allais faire, c’était la perspective que j’aurais dû envisager. Que celle que je me peignais était différente ! L’indépendance que je croyais avoir acquise était le