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Dès ce moment je crus ma fortune faite ; et, dans l’ardeur de la partager avec celle à qui je devais tout, je ne songeai qu’à partir pour Paris, ne doutant pas qu’en présentant mon projet à l’Académie je ne fisse une révolution. J’avais rapporté de Lyon quelque argent ; je vendis mes livres. En quinze jours ma résolution fut prise et exécutée. Enfin plein des idées magnifiques qui me l’avaient inspirée, et toujours le même dans tous les temps, je partis de Savoie avec mon système de musique, comme autrefois j’étais parti de Turin avec ma fontaine de Héron.

Telles ont été les erreurs et les fautes de ma jeunesse. J’en ai narré l’histoire avec une fidélité dont mon cœur est content. Si dans la suite j’honorai mon âge mûr de quelques vertus, je les aurais dites avec la même franchise, et c’était mon dessein ; mais il faut m’arrêter ici. Le temps peut lever bien des voiles. Si ma mémoire parvient à la postérité, peut-être un jour elle apprendra ce que j’avais à dire. Alors on saura pourquoi je me tais.