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sur Montmorency : — « Monsieur Rousseau était bon envers tout le monde. Il n’était pas triste. Les jours d’été, le soir, lorsque les jeunes filles et les garçons du voisinage jouaient à la main chaude, il venait les voir et il les faisait danser en chantant en ronde. »

Cette ronde, la vieille fille l’a chantée sans qu’on nous en ait su conserver les couplets.

C’était peut-être aussi le refrain de Colette :

Colin me délaisse !

Ou encore et toujours la chanson d’autrefois, la chère chanson de l’enfance :

Un cœur s’expose
À trop s’engager.

Et tandis que Rousseau chantait, l’orage s’amassait sur lui. L’Émile, — c’est Émile qui apprenait aux mères à nourrir leurs enfants, — dénoncé au Parlement par la Sorbonne et l’archevêque de Beaumont, venait d’être condamné à être lacéré et brûlé par la main du bourreau. L’auteur, déclaré hérétique et schismatique, était décrété de prise de corps. Il fallait fuir. Le prince de Conti et le maréchal de Luxembourg vinrent chercher Rousseau et lui donnèrent asile au château de Montmorency. Bien mieux, le maréchal apporta au philosophe les moyens de fuir lorsqu’arriva l’heure de la séparation. Madame de Boufflers, madame de Mirepoix, la duchesse de Montmorency, le prince de Conti, le prince de Tingry, rassemblés dans l’entresol du château, vinrent entourer de leurs adieux le philosophe, le proscrit. Toute cette noblesse faisait cortège au pauvre homme. Et le maréchal lui-même escorta Jean-Jacques jusqu’à la porte du parc.

« Il n’ouvrit pas la bouche, dit Rousseau. Il était pâle comme un mort. Il voulut m’accompagner jusqu’à ma chaise qui m’attendait à l’abreuvoir. Nous traversâmes tout le jardin sans dire un seul mot ; j’avais une clef du parc, dont je me servis pour ouvrir la porte, après quoi, au lieu de remettre la clef dans ma