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tance, et Grimm aidant, les échanges de lettres devinrent aigres et madame d’Épinay finit par écrire à Rousseau : « Puisque vous vouliez quitter l’Ermitage, et que vous le deviez, je suis étonnée que vos amis vous aient retenu ; pour moi, je ne consulte point les miens sur mes devoirs, et je n’ai plus rien à vous dire sur les vôtres. »

Cela ressemblait fort à un congé. Rousseau ne devait plus, ne pouvait plus rester à l’Ermitage. Il le quitta en effet au milieu de l’hiver de 1758. La perfidie de Grimm avait réussi.

Ce fut alors que Jean-Jacques Rousseau vient demeurer à Montmorency dans cette maison appelée le petit Mont-Louis, qui appartenait à M. Mathas, procureur fiscal du prince de Condé, et sur la porte de laquelle une plaque de marbre rappelle encore aujourd’hui le séjour du philosophe. Sa retraite devait être, au surplus, assez bien visitée. Rousseau recevait au Mont-Louis les plus célèbres personnages : le prince de Conti, le maréchal et la maréchale de Luxembourg ; le duc de Villeroy, le prince de Tingry, la duchesse de Montmorency, la duchesse de Boufflers, Lamoignon de Malesherbes. Le prince de Conti lui envoyait du gibier par l’un de ses officiers des chasses, en le chargeant de lui dire, afin de ne pas le blesser, qu’il l’avait tué de sa main.

Et Rousseau était heureux alors, non plus comme aux Charmettes, dans un paysage de jeunesse et d’aurore, mais en sa retraite apaisée, logé dans son pavillon « au milieu des bois et des eaux » où il composa dans une continuelle extase, dit-il, le cinquième livre de l’Émile. Très souvent le maréchal de Luxembourg, esprit droit et franc, se promenait à pied avec Rousseau, causait, et, « malgré son air gauche et ses lourdes phrases », Jean-Jacques Rousseau ne déplaisait pas à la maréchale. Mais à toutes ces causeries le philosophe préférait encore sa chère solitude. Il herborisait dans les bois d’Andilly, rentrant le soir pour manger le bon potage de Thérèse, ayant parfois à sa table le père Pichaud, maître maçon, dont la fille, qui vivait encore en 1818, disait à l’auteur, des Lettres à Jennie