Page:Rousseau - Les Confessions, Launette, 1889, tome 1.djvu/30

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec jalousie. Elle en instruisit Rousseau : « Je crains bien, lui dit-elle en soupirant, que vos folies ne me coûtent le repos de mes jours. » Tout aussitôt voila Jean-Jacques qui éclate contre Diderot. Ce misérable Diderot a abusé de sa confiance. Diderot est un monstre ! Diderot est un traître !

Madame d’Houdetot engagea Jean-Jacques à écrire à Saint-Lambert, et en effet Rousseau lui écrivit. La réponse de Saint-Lambert fut pleine de sentiments, d’estime et d’amitié. Mais quelque temps après madame d’Houdetot, se croyant obligée de rompre une liaison qui paraissait troubler la tranquillité de celui qu’elle aimait par-dessus tout, réclama ses lettres à Rousseau. Il les rendit et désira, à son tour, qu’elle lui remit les siennes. Madame d’Houdetot répondit qu’elle les avait brûlées, « J’en osai douter, dit-il, et j’avoue que j’en doute encore ; non, l’on ne met point au feu de pareilles lettres. On a trouvé brûlantes celles de Saint-Preux à Julie ; ah ! Dieu ! qu’aurait-on dit de celles-là ? Non, non, jamais celle qui peut inspirer une pareille passion n’aura le courage d’en brûler les preuves. » J’avoue que l’orgueil du littérateur est piqué et dépasse ici le dépit de l’amoureux. Depuis ce temps, madame d’Houdetot vit Rousseau beaucoup plus rarement et avec une extrême réserve.

Grimm, qui jusqu’alors n’avait pas manqué de saisir toutes les occasions d’indisposer madame d’Épinay contre Rousseau, allait du reste trouver bientôt le moyen de le brouiller tout à fait avec elle.

C’est un assez médiocre personnage que ce Grimm. Et qu’elle est étrange, presque incompréhensible, l’influence considérable qu’avait un tel homme, écrivain médiocre, sur Diderot, homme de génie ! Voyez les Lettres à mademoiselle Voland. Diderot parle de Grimm avec une sorte d’enthousiasme. On pourrait appliquer à leur amitié le mot de la Galigaï retourné : « J’avais sur la reine, disait la maréchale d’Ancre, l’influence qu’ont les esprits forts sur les esprits faibles ! » Les plus forts esprits sont souvent dominés par des intelligences secondaires.

Grimm a fait brouiller Jean-Jacques Rousseau avec Diderot