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ou peut-être fût-ce par amour-propre seulement qu’elle se sentit blessée de cette préférence. Ce qui est certain, c’est qu’à l’Ermitage où vivait Rousseau, madame d’Épinay, elle, employait toutes sortes de manœuvres pour se faire remettre, par la vieille Le Vasseur ou par Thérèse, les lettres qu’il adressait à madame d’Houdetot ou qu’il en recevait. Elle avait soin de leur dire qu’elle les recacheterait si bien qu’il n’y paraîtrait pas. Elle poussait même l’audace, dit Rousseau, jusqu’à les chercher dans la bavette de Thérèse.

Ici, dans ce roman moins poétique que celui des Charmettes, plus tatillon et plus mesquin, se place l’intervention de Diderot que Rousseau regarde comme un ennemi et qui était trop plein de franchise pour trahir, le brave Denis, trop plein de bonté pour haïr. Je ne saurais pardonner à Rousseau d’avoir méconnu Diderot.

Mais aussi quelles complications, quelles intrigues, quels commérages ! Diderot, « que Grimm avait pris en amitié », s’avisa d’écrire à Rousseau et de blâmer sa passion pour madame d’Houdetot ; le baron d’Holbach, qui fréquentait beaucoup la Chevrette, en parut scandalisé. Grimm, qui avait essayé vainement de plaire à madame d’Houdetot, en fut surtout irrité ; il était indigné qu’un homme qui ne s’occupait pas comme lui à soigner sa parure, à blanchir sa peau et à brosser ses ongles, eût pu obtenir cette préférence. Je résume ici toute une vieille histoire, excellemment contée par l’auteur des Lettres à Jennie sur Montmorency et qui nous montre bien l’envers d’un siècle et la petitesse des grands hommes.

Rousseau répondit à Diderot, et, dans sa lettre, il lui avoua avec franchise son amour pour madame d’Houdetot ; c’était la confession de l’amitié, elle fut, paraît-il, violée. Cette lettre passa entre les mains de Grimm et de madame d’Épinay, qui correspondaient avec Saint-Lambert informé de tout, et « on avait soin de lui donner à entendre que Rousseau était plus favorisé qu’il ne l’était réellement ». Madame d’Houdetot reçut une lettre de son amant. Saint-Lambert se plaignait avec défiance,