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pourtant n’ayant, en réalité, pas vieilli : « — Il me semble qu’il n’y a qu’un jour que je suis au monde, tant ma vie s’est écoulée paisiblement et d’une manière uniforme. Je ne sais, ajoutait-elle, si c’est parce que le plus tendre ami que j’ai eu a chanté d’une manière si parfaite les plaisirs de la campagne, que je les ai toujours aimés avec passion. J’ai quitté souvent avec empressement les fêtes les plus éclatantes et les bals les plus brillants, pour en jouir vingt-quatre heures plus tôt ! »

Et cette femme qui préférait au monde la nature — et la nature à Rousseau ! — a, sans se piquer de faire des vers, sans laisser voir la moindre maille du bas bleu, écrit sur la Vieillesse des vers qui rappellent non plus Jean-Jacques cette fois, mais Voltaire, le Voltaire des derniers ans :

On entend mal, on ne voit guère :
On a cent moyens de déplaire ;
Ce qui nous plut nous semble laid :
On voit le monde comme il est :
Qui vous cherchait vous abandonne :
Le bon sens, la froide vertu
Chez nous n’attirent plus personne :
On se plaint d’avoir trop vécu :
Mais dans ma retraite profonde,
Qu’un seul ami me reste au monde,
Je croirai n’avoir rien perdu.

Ne disait-elle pas, dans une autre pièce venue jusqu’à nous par hasard, — car madame d’Houdetot n’imprimait rien et n’adressait ses lettres ni à tout un cercle, ni à la postérité, comme Sėvigné :

Car j’aime encore et l’amour me console.
Rien ne pourrait me consoler de lui.

C’est ce que Boissy d’Anglas avait ainsi traduit dans un vers de son poème sur Bougiral :

Son bonheur fut d’aimer, sa gloire d’être aimée !

Et Jean-Jacques l’aima. Il l’aima vraiment, sincèrement, profondément. Mais, à côté de madame d’Houdetot, madame d’Épinay veillait et épiait. Elle devina cet amour, elle en fut jalouse,