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« Nul, a-t-on dit, n’était plus que lui capable de procédés et de sentiments généreux. Lorsque, par exemple, la publication des Confessions de Rousseau eut rendu madame d’Houdetot le sujet des conversations et un objet de curiosité, M. d’Houdetot redoubla d’égards et de considération pour elle, et ce procédé fut vivement senti par tout le monde. » On peut, d’ailleurs, juger de lui par un seul trait. Les joueurs sont généralement incorrigibles, et le comte d’Houdetot jouait. Il avait, un jour, perdu sur parole une somme extrêmement forte, et par lui-même hors d’état de la payer sur-le-champ, comme l’honneur le prescrivait. Il s’adressa à madame d’Houdetot. Elle était fort riche ; consentirait-elle à s’engager auprès de ceux qui, sur cette garantie, voulaient bien prêter au comte l’argent dont il avait besoin ? « Je le veux bien, dit madame d’Houdetot, mais à condition que vous ne jouerez plus. » Il le promit et il tint parole pendant tout le reste de sa vie qui dura encore plus de cinquante ans.

C’est Boissy d’Anglas qui raconte ce joli trait dans ses Études littéraires et poétiques d’un vieillard. On trouverait — perdu malheureusement dans les Notes de ces volumes, fatras de poésies qu’on ne lit plus guère — un vivant portrait de Mme d’Houtetot et tracé, à bien des années de distance, avec une vive émotion.

« Elle était bienfaisante par caractère, dit Boissy d’Anglas, et bienveillante par instinct, et elle n’a jamais perdu l’occasion de dire ou de faire une chose aimable, de rendre un service ou de répandre un bienfait ; l’amitié avait été la divinité de sa vie, et si elle a su jouir de ses faveurs autant qu’aucune autre personne, on peut dire aussi que personne n’a été plus attaché qu’elle aux devoirs qu’impose cette vertu : elle se réjouissait sur la fin de sa vie, et se glorifiait, en songeant aux nombreux amis qui avaient embelli sa longue carrière, de n’en avoir jamais perdu un seul, autrement que par sa mort, et en restant fidèle à sa mémoire. »

C’est madame d’Houdetot qui disait, ayant su vieillir et