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qui laisse apercevoir au loin Chambéry, la plaine, les monts. C’est une petite maison aux toits d’ardoise, toute tapissée de rosiers grimpants qui s’effeuillaient, ce jour-là, laissant tomber une pluie odorante. Deux acacias ombragent l’entrée, deux acacias qui ont abrité Rousseau lisant aux côtés de madame de Warens. Que de fois s’est-il arrêté là, causant avec elle ou la contemplant ! Que de fois ont-ils suivi les allées de ce verger tout éclatant de fleurs, et lumineux de soleil ! Voilà bien la maison que Rousseau nous a décrite : « Au devant un jardin en terrasse. une vigne au-dessus, un verger au-dessous ; vis-à-vis, un petit bois de châtaigniers… » Non, les châtaigniers n’y sont plus. Les châtaigniers sont abattus… Et maintenant Rousseau ne pourrait plus aller songer sous leur ombre. Mais le temps a beau s’acharner contre cette pauvre maison, ceux qui ont vécu là y sont toujours, et — la maison muette, la porte fermée — je n’osais point frapper, craignant de voir apparaitre le visage irrité de Rousseau me demandant de quel droit je venais le poursuivre dans sa retraite et le troubler dans son bonheur. Hélas ! Oui, c’est le visage attristé du solitaire d’Ermenonville qui m’apparaissait tout d’abord aux Charmettes. Là où je venais chercher l’amoureux, l’écolier de Genève, je rencontrais le misanthrope.

N’était-ce pas cette plaque de marbre blanc, placée dans la muraille et déjà fendillée qui évoquait le Rousseau souffrant et chagrin, en ce jardin où avait passé le Rousseau rayonnant et plein d’espoir ? Elle a été placée là en 1792, par Hérault de Séchelles, commissaire de la Convention au département du Mont-Blanc, et le conventionnel lettré et sentimental a sans doute composé l’inscription lui-même :

Réduit par Jean-Jacque habité,
Tu me rappelles son génie,
Sa solitude, sa fierté,
Et ses malheurs et sa folie.
À la gloire, à la vérité
Il osa consacrer sa vie,
Et fut toujours persécuté
Ou par lui-même, ou par l’envie.