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reprit Claire. Qui vous assure que je vais l’épouser ?

— Mais cet homme a demandé votre main à votre père et il l’a obtenue, il le dit lui-même, cette nouvelle est dans toutes les bouches.

Après tout, continua le jeune homme, donnant cours aux sentiments tumultueux qui bouillonnaient dans son âme, après tout qui suis-je auprès de ce grand seigneur, ce brillant papillon qui tourne la tête à toutes les femmes ? un niais, un provincial, un paysan, un homme gauche ; et timide, qui ne sait ni danser ni chanter, ni rien de ce que faudrait savoir le prétendant à la main d’une jeune fille noble ! S’informe-t-on seulement s’il a une intelligence et un cœur ; cet être déshérité, bon à laisser dans l’antichambre, avec les châles et les manteaux ? De quoi se plaindrait-il ? Que peut il être ? Quelle est sa place dans ce monde nouveau qui le dédaigne et ne le connaît pas ? Un débris, un atôme !

L’aimer, lui, allons donc ! Celui qu’on aime, c’est le roi des salons dont on est la reine, c’est le merveilleux roué devant qui tout, s’incline et que les femmes, se disputent en champ clos comme les paladins se disputaient autrefois l’écharpe de la dame de leurs pensées !…

Voilà celui qu’on aime ! Mais l’autre, on l’abandonne dans un coin ; et si, dans son iso-