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trine. Les projets de son père, l’image de Louis, pâle d’angoisses à quelque pas d’elle, tout était oublié : il n’y avait plus qu’un rêve, un orgueil, une ivresse.

Et cependant Louis était là, résumant, comme nous l’avons dit, tout ce qu’il avait souffert, tout ce qu’il souffrait depuis le commencement de la soirée.

Bigot s’était emparé de l’éventail de Claire, et dans les entr’actes de la contredanse, il jouait avec ce frêle talisman comme s’il eût voulu en faire l’interprète des hardiesses de son amour. Louis, à cet irritant spectacle, portait la main à sa poitrine pour en arrêter les battements furieux. L’épreuve était trop cruelle, et peut-être allait-il éclater, quand un laquais s’approcha de Bigot et lui parla à l’oreille. Celui-ci s’excusa et quitta la salle avec empressement. Claire sembla s’éveiller d’un rêve, et après avoir parcouru d’un regard distrait la foule, elle se dirigea vers un petit salon masqué par un massif de verdure, se laissa tomber sur un fauteuil, en lançant un soupir de soulagement.

Combien de temps resta-t-elle ainsi rêveuse ? Noue ne saurions le dire ; Un bruit léger lui fît lever la tête : Louis Gravel, pâle, les yeux rougis par la fièvre, était debout devant elle.

La jeune fille ne put étouffer entièrement un cri. Était-ce de joie ? était-ce de surprise ? Probablement des deux à la fois.