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leur hivernement, sans pain, sans farine, sans viande, et ne vivent que du peu de biscuit et de lard que le soldat anglais leur vend de sa ration. Telle est l’extrémité où sont réduits les meilleurs bourgeois.

« Les campagnes ne fournissent point de ressources et sont peut-être aussi à plaindre que la ville même. Toute la Côte de Beaupré et l’île d’Orléans ont été détruites avant la fin du siège ; les granges, les maisons des habitants, les presbytères ont été incendiés ; les bestiaux qui restaient, enlevés ; ceux qui avaient été transportés au-dessus de Québec ont presque tous été pris pour la subsistance de notre armée ; de sorte que le pauvre habitant qui retourne sur sa terre avec sa femme et ses enfants, sera obligé de se cabaner à la façon des sauvages.[1]

« Leur récolte qu’ils n’ont pu faire qu’en donnant la moitié, sera exposée aux injures de l’air, ainsi que leurs animaux ; les caches qu’on avait faites dans les bois, ont été découvertes par l’ennemi, et par là, l’habitant est sans hardes,

  1. C’est ainsi que tous les habitants de la Côte de Beaupré, qui n’étaient descendus du bois qu’au mois d’octobre, passèrent l’hiver. À Château-Richer, une partie du plancher de l’église n’avait pas été consumée par les flammes. C’est en cet endroit que les habitants qui avaient récolté un peu de grain allaient le battre. Ceux qui étaient trop éloignés le battaient sur la glace. Les mères qui n’avaient pas de farine pour préparer la nourriture des enfants au berceau, se servaient pour moudre le grain d’un moulin à café que M. Ed. Cloutier, maire du Château, conserve encore comme une relique du passé.

    Sur la terre de M. Frs. Julien, au pied de la montagne, à un mille du chemin royal, on trouve, dans un rocher, un four naturel qui servit jusqu’au printemps à faire cuire le pain des habitants qui avaient de la farine. Ceux-là, c’était les bourgeois, les privilégiés de l’endroit. Les pauvres se nourrissaient de blé bouilli, quand le poisson et le gibier manquaient.