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— Hélas ! dit M. de Vaudreuil, c’est un des orgueils de notre pauvre humanité, que chaque homme se croit plus malheureux qu’un autre malheureux qui pleure et qui gémit à côté de lui.

— Qu’y a-t-il de plus malheureux que l’homme qui a perdu le seul bien qu’il aimât et désirât au monde ?

— Écoutez, Louis, dit le gouverneur avec émotion. J’ai connu un homme qui, ainsi que vous, avait fait reposer toutes ses espérances de bonheur sur une femme. Cet homme était jeune, il avait une fiancée qu’il adorait, il allait l’épouser, quand tout-à-coup un de ces caprices du sort qui feraient douter de la bonté de Dieu, si Dieu ne se révélait plus tard en montrant que tout est pour lui un moyen de conduire à son unité infinie, quand tout-à-coup un caprice du sort lui enleva sa liberté, sa fiancée, l’avenir qu’il rêvait et qu’il croyait le sien — car, aveugle qu’il était, il ne pouvait lire que dans le présent — pour le plonger dans la plus dure des captivités.

— Mais un prisonnier s’échappe.

— Aussi s’échappa-t-il. Mais quand il revint, il ne retrouva plus sa fiancée…

— Elle était morte ?…

— Pis que cela : elle avait été infidèle ; elle