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dans les jugements que je fais de lui, ni dans l’espoir que je fonde sur sa justice.

— Mon ami, je crois en Dieu, et Dieu ne serait pas juste si mon âme n’était immortelle. Voilà, ce me semble, ce que la religion a d’essentiel et d’utile ; laissons le reste aux disputeurs. A l’égard de l’éternité des peines, elles ne s’accordent ni avec la faiblesse de l’homme, ni avec la justice de Dieu. Il est vrai qu’il y a des âmes si noires, que je ne puis concevoir qu’elles puissent jamais goûter cette éternelle béatitude, dont il me semble que le plus doux sentiment doit être le contentement de soi-même. Cela me fait soupçonner qu’il se pourrait bien que les âmes des méchants fussent anéanties à leur mort, et qu’être et sentir fût le premier prix d’une bonne vie. Quoiqu’il en soit, que m’importe ce que seront les méchants ? Il me suffit qu’en approchant du terme de ma vie, je n’y voie point celui de mes espérances, et que j’en attende une plus heureuse après avoir tant souffert dans celle-ci. Quand je me tromperais dans cet espoir, il est lui-même un bien qui m’aura fait supporter tous mes maux. J’attends paisiblement l’éclaircissement de ces grandes vérités qui me sont cachées, bien convaincu cependant qu’en tout état de cause, si la vertu ne rend pas toujours l’homme heureux,