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Les affirmations philosophiques et religieuses implicitement contenues dans un tel acte, Rousseau ne pouvait pas les tenir secrètes : par tempérament il avait besoin de se confesser, de dire à tous toute sa pensée : le succès de son premier Discours, où il s’était livré assez ingénument, et qui avait été comme un essai de confidence au public, ne pouvait que l’encourager. Désormais toute son œuvre ne sera, pour ainsi dire, qu’une série de « professions de foi », en réponse aux divers problèmes qui lui seront posés par sa conscience ou par la vie. Le problème religieux, dans ses rapports avec la morale et le bonheur, était de tous celui qui s’imposait le plus fortement à lui. Son adolescence calviniste, sa conversion au catholicisme, qui n’avait d’abord été qu’une aventure, mais qu’il avait acceptée sans regret, l’influence de Mme de Warens, les inquiétudes et les incertitudes de sa vocation, l’espèce d inventaire intellectuel et moral entrepris aux Charmettes, l’avaient maintenu jusqu’à son installation à Paris en familiarité constante avec les questions religieuses. Il était revenu de Venise catholique plus que tiède, déjà détaché peut-être, ayant pourtant gardé, à travers ses avatars confessionnels, le goût de la discussion théologique et un petit credo rudimentaire, mais très sincère, semhle-t-il, et surtout très vivace[1]. Les « philosophes » auxquels il se livra dès l’abord avec une si imprudente affection, allaient mettre bientôt à l’épreuve la résistance de ce credo. Les audaces de leurs livres, même subreptices, ne trahissent qu’à demi aujourd’hui les audaces de leurs conversations, qui devaient troubler profondément Jean-Jacques. Elles le troublaient, sans le convaincre : et, dans les jours où il se sentait le plus ébranlé, il ne sauvait sa foi de la ruine que par une espèce d’affirmation désespérée, plus forte que tous les raisonnements. Les pseudo-Mémoires de Mme d’Épinay nous ont conservé le tableau d’une de ces libres discussions, où tous les convives, hommes et femmes, allaient joyeusement jusqu’au bout de leurs négations. Et devant ces jouteurs habiles, beaux diseurs et gens d’esprit, Rousseau, solitaire, gauche, désemparé, ne savait que se raidir : « Et moi, Messieurs, leur disait-il, je crois en Dieu… Je sors si vous dites un mot de plus »[2].

Cette manifestation courageuse n’est peut-être pas la première « pro-

  1. Pour le développement de ces brèves indications, et de celles qui vont suivre, cf. mon livre sur La Religion de J.J. Rousseau, Paris. Hachette, 1914, in-8.
  2. Mémoires de Mme d’Épinay [256], I, 380-381, surtout dans le texte intégral des Mémoires que j’ai publié [299]. 5-19, et qui rétablit toutes les hardiesses que le prudent Brunet avait supprimées sous la Restauration.