Page:Rousseau - La Monongahéla, 1890.djvu/75

Cette page a été validée par deux contributeurs.
77
La Monongahéla

Lorsque enfin la pipe allumée fut bien assujettie au coin de ses lèvres, le grave Bertrand s’étendit nonchalamment de manière à s’appuyer sur le cabestan, interposant entre celui-ci et sa nuque ses deux mains jointes. Poussant alors vers le ciel d’énormes flocons de fumée :

— Pour lors, dit-il, qu’est-ce que tu me faisais l’honneur de m’objecter, Pompon-Filasse ?

— Ce n’est pas moi, maître, répondit le jeune matelot rose et joufflu que Bertrand avait baptisé du nom amical de Pompon-Filasse en raison de son abondante chevelure d’un blond fade, ce sont les camarades qui disent comme ça que nous allons passer l’hiver ici. Est-ce que vous croyez ça, vous, maître ?

— À cette question, répliqua Bertrand, il est possible que les savants fissent une cinquantaine de réponses. Quant à moi, Pompon, j’obtempère à n’en faire que deux : primo, je l’ignore ; secundo, je ne le crois pas.

Sur ces paroles, qui empruntaient à la bouche d’où elles étaient émanées une autorité sibylline, les matelots se regardèrent furtivement, en se communiquant l’un à l’autre leurs secrètes impressions par un hochement de tête accompagné d’une moue particulière de la lèvre inférieure.

Décidément, le vieux maître n’était pas loquace ce soir-là. Encouragé par les signes de ses camarades,