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La Monongahéla

ment où nous faisons sa connaissance une cinquantaine d’années — Bertrand n’avait eu d’autres affections que son rude métier de marin.

Nature inculte, ne connaissant que la mer, le vieux matelot possédait une grande bravoure et de précieuses qualités qui l’avaient conduit au poste de maître d’équipage. Fort aimé de ses camarades, il n’entendait pas badinage cependant sur l’article de la discipline. Mais il était si gai conteur, quand le service laissait des loisirs au matelot ! Sans lui, sans ces bonnes histoires qu’il inventait souvent, qui serait venu amuser les hôtes du gaillard d’avant ? Fallait voir l’empressement des matelots, des jeunes surtout, à se rendre au pied du mat d’artimon aussitôt la manœuvre terminée ! Quelles oreilles attentives aussitôt que Bertrand s’installait au pied du cabestan, siège ordinaire d’où le vieux maître pérorait !

De côté toute contrainte ! en avant la joie et les saillies ! Tout le monde avait le droit d’interpeller l’orateur, et c’est avec la plus grande condescendance qu’il multipliait les réponses, même quand celles-ci étaient en dehors de son érudition, surtout dans ce cas-là !

Mais le porte-voix de commandement se faisait-il entendre ? Adieu ! les amabilités ! Plus de familiarités avec les supérieurs ! Il fallait filer proprement et rondement son écoute, car le vieux maître n’y