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La Monongahéla

gnaient au petit trot de Lourdaud, le favori des chevaux de Pierre Gagnon.

La jeune fille suivit du regard la voiture jusqu’à ce qu’elle disparût au tournant de la route, puis elle s’assit, rêveuse, sur un banc rustique dans une contre-allée du jardin.

Irène de Linctôt n’était point belle, à proprement parler, à peine jolie même, mais elle était charmante. Elle était un peu frêle, délicate, avec des cheveux d’un blond cendré, et deux yeux d’un bleu mélangé de gris dont les cils pâles étaient presque invisibles. Ses traits, un peu enfantins, semblaient finement pétris par une main d’artiste trop minutieuse.

Ce qui la rendait remarquable cependant et la plaçait au rang des femmes qu’on cite, c’était la grâce dont elle était imprégnée des pieds à la tête, et surtout son art exquis de se bien mettre. En effet, quand elle était habillée, coiffée, chiffonnée de ses propres mains avec une harmonie parfaite, en la voyant, le soir, par exemple, dans sa toilette, il était impossible de ne pas s’imaginer qu’elle venait d’éclore dans quelque jardin de fée, au clair de la lune, ce qui faisait dire à M. de Sabrevois : — Mademoiselle de Linctôt, ce n’est pas une femme, c’est une incantation du suave, une fleur… Son mari ne devra pas la toucher de peur qu’elle ne s’effeuille, il faudra qu’il la respire !…

Irène, née en Acadie, n’avait connu ni son père,