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La Monongahéla

N’en serait-il point ainsi de son existence entière, de sa personnalité ? Sans but désormais, les années allaient venir, elles passeraient sur lui avec leur lente puissance d’oblitération éteignant ses sens, soufflant progressivement sur son intelligence, retardant par degrés ses aspirations pour le mieux fondre dans l’immense pèle-mêle humain.

Hélas ! savait-il seulement pourquoi il l’avait aimée, cette espagnole qui le repoussait ? Pourquoi l’aimait-il encore ? Le simple bon sens n’aurait-il pas dû lui suffire en lui montrant l’impossible, à éteindre cette passion alimentée de désespoir ? Il avait passé des jours, des semaines, des mois à se tenir des discours pratiques, à se faire à la vision de ce grand deuil qu’il subissait ; néanmoins, il avait fléchi sous le coup, il était demeuré écrasé et impuissant. Il ne s’expliquait pas sa douleur. Peut-être naissait-elle de ce qu’on lui avait préféré un être vil et ridicule ? Oui, sans doute, c’était là la vraie cause du mal. Il aurait moins souffert s’il avait appris que Doña Maria allait épouser un rival digne de lui.

Et le jeune homme avançait vers la terrace, en se remémorant les moindres détails de ses entrevues, de ses éphémères satisfactions aux heures où il lui avait paru que Doña Maria le considérait avec plus de bienveillance.

Il se rappelait ses attitudes, ses poses de tête, les jeux de sa physionomie, jusqu’aux particularités de