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La Monongahéla

l’image de celle qui l’avait repoussé, image sans cesse présente à son esprit. Elle s’interposait entre son regard et le monde extérieur, lumineuse comme une splendeur d’aurore au printemps, mélancolique comme les rares crépuscules de l’hiver.

Daniel lui prêtait tout à la fois ses chimères de jeunesse pure et courageuse, ses voluptés de souffrance isolée et savourée à longs traits. Il parlait au souvenir, à l’image entrevue et envolée, le mystique langage des amours qui n’espèrent que l’impossible. Nulle apparence ne s’offrait à lui qu’il retrouvât ce qui avait été la réalité d’un instant, que sa vie se croisât encore avec la voie suivie par le lien aimé de ses rêves. Et sûr de ne plus la revoir, il n’avait pas la volonté et la force de la chasser de son cœur.

Un jour que toutes ces pensées hantaient son cerveau, Daniel fut très surpris de voir entrer son geôlier avec force révérences, force obséquiosités auxquelles on ne l’avait pas accoutumé. Sa surprise se transforma en stupéfaction quand il le vit étaler sur son grabat un magnifique costume de cour de la plus grande richesse.

— Qu’est-ce que cette mauvaise plaisanterie ? dit-il avec humeur.

— Ce n’est pas une plaisanterie, excellence, répondit le geôlier, ces habits vous sont envoyés par monseigneur le vice-roi. Il vous prie de les accepter