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La Monongahéla

— Mon ami, écoutez-moi patiemment, je vous en prie.

— Parlez, madame.

— Il y aura cinquante ans le huit du mois prochain, vivait tranquille et sage une jeune fille auprès de son père, dans un pays que vous connaissez bien. La vie de son cœur, à part l’affection qu’elle portait à son père, n’avait été jusque-là qu’une longue somnolence, quand, un jour, elle rencontra sur son chemin un homme jeune et bon comme elle.

De ce jour même, elle comprit qu’il y avait place dans son cœur pour d’autres sentiments que l’amour de ses parents. Que vous dirais-je ? Ils s’aimèrent et se le dirent, et jamais amour plus chaste n’avait existé.

Le jeune homme devait s’éloigner, mais il sentit que tout son être se briserait s’il partait seul. Alors, avec l’assentiment de la jeune fille, il demanda sa main, et comme il était pauvre, on la lui refusa ; mais…

— Assez, assez, madame, s’écria M. de Vaudreuil en essuyant deux larmes qui perlaient à sa paupière, assez, vous dis-je. Ce jeune homme devenu vieillard bénit le ciel tous les jours d’avoir placé un de ses anges de la terre à ses côtés, ange qui l’a soutenu dans les luttes de toute sa vie, qui a partagé sans murmure les malheurs que la Providence ne lui a pas ménagés.