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594 DU CONTRAT SOCIAL. l cette religion ne fut essentiellement mauvaise; car alors, sans outra- R ger ceux qui la professent, ils refuseraient de la professer. Ils leur diraient: • Puisque Dieu nous appelle a la servitude, nous voulons V étre de bons serviteurs, et vos sentiments nous empécheraient de l’étre; nous connaissons nos devoirs, nous les aimons, nous rejetons ce qui nous en détache; c’est aiin de vous étre fidéles que nous n’a· l doptons pas la loi de l’iniquité. » l Mais si la religion du pays est bonne en elle·méme, et que ce qu’elle a de mauvais soit seulement dans des interpretations particu- liéres, ou dans des dogmes purement spéculatifs, ils s’attacheront a l l’essentiel, et toléreront le reste, tant par respect pour les lois que 1 par amour pour la paix. Quand ils seront appelés a déclarer expres- sément leur croyance, ils le feront, parce qu’il ne faut point mentir; ils diront au besoin leur sentiment avec fermeté, méme avec force; 1 ils se défendront par la raison, si on les attaque. Du reste, ils ne disputeront point contre leurs freres; et, sans s’obstiner a vouloir les convaincre, ils leur resteront unis par la charité; ils assisteront a leurs assemblées, ils adopterontleurs formules, et, ne se croyant pas plus infaillibles qu’eux, ils se soumettront a l’avis du plus grand l nombre en ce qui n’intéresse pas leur conscience et ne leur parait pas importer au salut.

 Vous me demanderez peut-étre comment on peut accorder cette

doctrine avec celle d’un·homme qui dit que l’Evangile est absurde et pernicieux a la société? En avouaat franchement que cet accord me parait difficile, je vous demanderai A mon tour ou est cet homme qui dit que l’Evangile est absurde et pernicieux. Vos messieurs m’ac· cusent de l’avoir dit: et ou? Dans le Contra: social, au chapitre de la Religion civile. Voici qui est singulier! Dans ce méme livre et dans ce méme chapitre je pense avoir dit précisément le contraire; je pense avoir dit que l’Evangile est sublime et le plus fort lien de la société(1). Je ne veux pas taxer ces messieurs de mensonge; mais avouez que deux propositions si contraires dans le méme livre et dans le méme chapitre doivent faire un tout bien extravagant. N’y aurait·il point ici quelque nouvelle équivoque, a la faveur de laquelle on me rendit plus coupable ou plus fou que je ne suis? Ce mot de société présente un sens un peu vague: il y a dans le monde des sociétés de bien des sortes, et il n’est pas impossible que ce qui sert a l’une nuise a l’autre. Voyons: la méthode favorite de mes agresseurs est toujours d’ofl`rir avec art des idées indéterminées; continuons pour toute réponse a tacher de les fixer. Le chapitre dont je parle est destiné, comme on le voit par le titre, a examiner comment les institutions religieuses peuvent entrer dans la constitution de l’Etat. Ainsi ce dont il s’agit ici n’est point de (r) Contra! social, liv. IV, chap. vm.