Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/460

Cette page n’a pas encore été corrigée

APPENDICE VI. 387 Si le peuple ne peut avoir ni souverain ni représentants, nous exa- minerons comment il peut porter ses lois lui-méme; s’il doit avoir beaucoup de lois; s’il doit les changer souvent; s’il est aisé qu’un grand peuple soit son propre législateur; Si le peuple romain n’était pas un grand peuple; S’il est bon qu’il y ait de grands peuples. I1 suit des considérations précédentes qu’il y a dans l’Etat un corps intermédiaire entre les sujets et le souverain; et ce corps intermé- diaire, formé d’un ou de plusieurs membres, est chargé de l’admi— nistration publique, de l’exécution des lois, et du maintien de la li- berté civile et politique. Les membres de ce corps s’appellent magistrats ou rois, c’est- a·dire gouverneurs. Le corps entier, considéré par les hommes qui le composent, s’appelle prince, et, considéré par son action, il s’appelle gouvernement. Si nous considéronsl’action du corps entier agissant sur lui·méme, c’est-a-dire le rapport du tout au tout, ou du souverain a l’Etat, nous pouvons comparer ce rapport a celui des extrémes d’une proportion continue dont le gouvernement donne le moyen terme. Le magistrat recoit du souverain les ordres qu’il donne au peuple; et, tout com- pensé, son produit ou sa puissance est au méme degré que le produit ou la puissance des citoyens, qui sont sujets d’un coté et souverains de 1’autre. On ne saurait altérer aucun des trois termes sans rompre a l’instant la proportion. Si le souverain veut gouverner, ou si le prince veut donner des lois, ou si le sujet refuse d’obéir, le désordre succede a la régle, et l’Etat dissous tombe dans le despotisme ou dans l’anarchie. Supposons que l’Etat soit compose de dix mille citoyens. Le sou- verain ne peut étre considéré que collectivement et en corps; mais chaque particulier a, comme sujet, une existence individuelle et indé- pendante. Ainsi le souverain est au sujet comme dix mille a un; c’est·a-dire que chaque membre de l’Etat n’a pour sa part que la dix- milliéme partie de l’autorité souveraine, quoiqu’il lui soit soumis tout entier. Que le peuple soit composé de cent mille hommes, l’Etat des sujets ne change et chacun porte toujours tout l’empire des lois, tan- dis que son suffrage, réduit a un cent milliéme, a dix fois moins d’influence dans leur rédaction. Ainsi, le sujet restant toujours un, le rapport du souverain augmente en raison du nombre des citoyens. D’oi1 il suit que plus l’Etat s’agrandit, plus la liberté diminue. Or moins les volontés particuliéres se rapportent a la volonté gé- nérale, c’est-a·dire les mceurs aux lois, plus la force réprimante doit augmenter. D’un autre c6té, la grandeur de l’Etat donnant aux dépo- sitaires de l’autorité publique plus de tentations et de moyens d’en abuser, plus le gouvernement a de force pour contenir le peuple, plus le souverain doit en avoir A son tour pour contenir le gouvernement.