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division réelle. Certaines maximes politiques éparses dans la Lettre sur les spectacles réapparaitront dans le Contrat reproduites textuellement ou avec des changements de forme sans importance.

L’Héloïse, à laquelle Rousseau se consacra ensuite tout entier, est sans doute une œuvre d’imagination ou il s’est plu à peindre sa passion pour Mme d’Houdetot avec des accents d’une sincérité pénétrante et ce sentiment exquis des beautés de la nature qui devait donner, non seulement à notre littérature et à celle des pays étrangers, mais aussi à nos goûts et à nos penchants à tous, une orientation nouvelle. Et rien qu’à ce point de vue, l’Héloïse demeure (qu’on nous permette cette expression déjà un peu démodée) un document humain de premier ordre. Mais en dehors méme de cet élément d’intérêt, elle nous présente de charmantes peintures des mœurs vaudoises, des salons de Paris et surtout de la Parisienne dont les qualités et les défauts sont analysés, en traits délicieux, avec une sagacité profonde et une connaissance raffinée du cœur humain. Remarquons aussi, en passant, qu’il se trouve dans ce livre unique un chapitre sur l’éducation, vraiment admirable et qui devrait être reproduit à la suite de toutes les éditions de l’Émile.Toutes ces pages de l’Héloïse, si neuves alors, si intéressantes encore aujourd’hui pour l’histoire des mœurs, temoignent bien que Rousseau, alors qu’il semble livré à l’ivresse de sa passion et à une sorte de débauche intellectuelle dont il parle avec un plaisir mêlé de honte dans ses lettres à M. de Malesherbes, n’a pas perdu pied, et qu’il s’est maintenu dans le courant de ses reflexions habituelles. Ce qui le prouve, d’ailleurs, c’est que, l’Héloïse une fois achevée, il s’attela à l’Émile, commencé depuis longtemps, et qu’il poussa fort loin en peu de temps. Il avait dû quitter l’Hermitage pour s’établir chez le duc de Luxembourg ; mais, bien que fêté et choyé au possible par la famille et l’entourage de son nouvel ami, il se lassa vite d’un état brillant, mais précaire, qui le mettait à la discrétion d’autrui ; et malgré son insouciance naturelle, il fit un énergique effort pour se créer une situation indépendante. Déjà le produit de la Lettre à d’Alembert, de la Nouvelle Héloïse et celui qu’il devait tirer de l’Émile formait les éléments d’un petit capital. Pour grossir cette somme, il résolut de terminer ses