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être celui dont on parle le plus et qu’on lit le moins. L’ouvrage est court cependant et la langue en est admirable ; en outre il traite de questions d’une vivante actualité, par exemple de la souveraineté nationale et des rapports de l’Église et de l’État. Le Contrat social n’a donc pas vieilli ; c’est notre génération qui n’est plus jeune et qui ne se passionne plus pour les grands sujets. Malgré l’indifférence de l’heure présente, ce livre n’est pas moins écrit pour tous les temps.

Les idées politiques de Rousseau ne sont pas toutes dans le Contrat ; celles qui constituent l’ordre social y sont seules établies ; l’application de ces principes aux mœurs et aux lois particulières est en dehors de son plan. Ces questions, Rousseau les a étudiées à plusieurs reprises dans l’Économie politique d’abord, dans la Polysynodie ensuite, et plus tard dans les projets de gouvernement pour la Corse[1] et pour la Pologne. C’est là qu’il faut les chercher ; elles ne forment pas un corps complet de doctrines ; mais on y trouve des vues fort remarquables, notamment sur la propriété, sur l’impôt, sur l’éducation publique, sur le service militaire, sur l’hérédité.

Nous nous bornons ici au Contrat social ; en l’annotant, notre préoccupation constante a été de nous effacer derrière l’auteur et de le laisser lui-même expliquer son œuvre ; une courte introduction nous paraît cependant nécessaire pour fixer certaines idées dont il ne pouvait lui-même donner la clef.

Tous ceux qui ont étudié la politique de Rousseau, et les Genevois en particulier, se sont beaucoup tourmentés pour savoir en quoi pouvait précisément consister cet ouvrage sur les Institutions que mentionnent à plusieurs reprises les Confessions, et dont le Contrat social ne serait qu’un fragment. La question nous est, en un sens, étrangère, car le Contrat social n’en forme pas moins un tout complet et bien ordonné. Mais, même à notre point de vue, il n’était pas sans intérêt de rechercher les différentes phases qu’a pu traverser la pensée de Rousseau avant d’aboutir à la forme définitive qu’il a donnée à une partie fondamentale de ses conceptions dans le Contrat so-

  1. De précieux fragments de ce projet ont été publiés pour la première fois par M. Streckeisen-Moulton, dans les Œuvres et Correspondance inédites de J.-J. Rousseau (Paris, Michel Lévy frères, 1861).