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Je crois qu’en développant sous ce point de vue les faits historiques, on réfuterait aisément les sentiments opposés de Bayle [1] et de Warburton [2], dont l’un prétend que nulle religion n’est utile au corps politique, et dont l’autre soutient, au contraire, que le christianisme en est le plus ferme appui. On prouverait au premier que jamais État ne fut fondé que la religion ne lui servît de base ; et au second, que la loi chrétienne est au fond plus nuisible qu’utile à la forte constitution de l’État. Pour achever de me faire entendre, il ne faut que donner un peu plus de précision aux idées trop vagues de religion relatives à mon sujet.

La religion, considérée par rapport à la société, qui est ou générale ou particulière [3], peut aussi se diviser en deux espèces : savoir, la religion de l’homme, et celle du citoyen. La première, sans temples, sans autels, sans rites, bornée au culte purement intérieur du Dieu suprême et aux devoirs éternels de la morale, est la pure et simple religion de l’Évangile, le vrai théisme, et ce qu’on peut appeler le droit divin naturel. L’autre, inscrite dans un seul pays, lui donne ses dieux, ses patrons propres et tutélaires : elle a ses dogmes, ses rites, son culte extérieur prescrit par des lois ; hors la seule nation qui la suit, tout est pour elle infidèle, étranger,

  1. Bayle, auteur du célèbre Dictionnaire historique (1697), dont le scepticisme a préparé la voie aux philosophes du xviiie siècle.
  2. Warburton, voir p. 178, note 4.
  3. C’est-à-dire que l’on peut considérer la société humaine en général et les sociétés particulières ou États. Au premier point de vue, répond la religion de l’homme ; au second, la religion du citoyen.