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plaisirs. Redressez les opinions des hommes, et leurs mœurs s’épureront d’elles-mêmes. On aime toujours ce qui est beau ou ce qu’on trouve tel ; mais c’est sur ce jugement qu’on se trompe : c’est donc ce jugement qu’il s’agit de régler. Qui juge des mœurs, juge de l’honneur, et qui juge de l’honneur, prend sa loi de l’opinion [1].

Les opinions d’un peuple naissent de sa constitution ; quoique la loi ne règle pas les mœurs, c’est la législation qui les fait naître ; quand la législation s’affaiblit, les mœurs dégénèrent ; mais alors le jugement des censeurs ne fera pas ce que la force des lois n’aura pas fait.

Il suit de là que la censure peut être utile pour conserver les mœurs, jamais pour les rétablir. Établissez des censeurs durant la vigueur des lois ; sitôt qu’elles l’ont perdue, tout est désespéré : rien de légitime n’a plus de force lorsque les lois n’en ont plus.

La censure maintient les mœurs en empêchant les opinions de se corrompre, en conservant leur droiture par de sages applications, quelquefois

  1. C’est-à-dire, quand on connaît la conduite habituelle des hommes (mœurs), on sait du même coup ce qu’ils estiment et ce qu’ils méprisent (honneur), puisque ce sont ces sentiments qui règlent en général leur conduite ; et ces sentiments eux-mêmes résultent, non de la nature des choses, mais de l’opinion, c’est-à-dire des habitudes d’esprit traditionnelles et générales, qui dépendent à leur tour de la constitution politique d’un peuple. — Les mœurs d’un peuple dépendent donc indirectement de sa législation : de bonnes lois, voilà la véritable garantie de la vertu d’un peuple. Aussi la fonction de censeur restera-t-elle toujours secondaire.