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pouvoir se soutenir par la seule force de sa constitution. Les mœurs rendant alors superflues bien des précautions qui eussent été nécessaires dans un autre temps, on ne craignait ni qu’un dictateur abusât de son autorité, ni qu’il tentât de la garder au delà du terme. Il semblait, au contraire, qu’un si grand pouvoir fût à charge à celui qui en était revêtu, tant il se hâtait de s’en défaire, comme si c’eût été un poste trop pénible et trop périlleux de tenir la place des lois.

Aussi, n’est-ce pas le danger de l’abus, mais celui de l’avilissement, qui me fait blâmer l’usage indiscret de cette suprême magistrature dans les premiers temps [1]. Car tandis qu’on la prodiguait à des élections, à des dédicaces, à des choses de pure formalité [2], il était à craindre qu’elle ne devînt moins redoutable au besoin, et qu’on ne s’accoutumât à regarder comme un vain titre celui qu’on n’employait qu’à de vaines cérémonies.

Vers la fin de la république, les Romains, devenus plus circonspects, ménagèrent la dictature avec aussi peu de raison qu’ils l’avaient prodiguée autrefois [3]. Il était aisé de voir que leur crainte

  1. De la république romaine.
  2. Outre les cas de guerre ou de sédition, on nommait aussi des dictateurs pour présider à certains actes religieux ou à certaines cérémonies civiles, et ils abdiquaient aussitôt leur fonction remplie. Ils n’avaient guère que le nom de commun avec les chefs absolus à qui l’on recourait en cas de péril extrême.
  3. Cependant Sylla et César reçurent le titre de dictateurs : mais ce furent alors de véritables « magistratures nouvelles, préparant la transition de la république à l’empire ».