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l’appareil des lois soit un obstacle à s’en garantir, alors on nomme un chef suprême, qui fasse taire toutes les lois et suspende un moment l’autorité souveraine. En pareil cas, la volonté générale n’est pas douteuse, et il est évident que la première intention du peuple est que l’État ne périsse pas. De cette manière, la suspension de l’autorité législative ne l’abolit point : le magistrat qui la fait taire ne peut la faire parler ; il la domine sans pouvoir la représenter ; il peut tout faire, excepté des lois [1].

Le premier moyen s’employait par le sénat romain quand il chargeait les consuls, par une formule consacrée, de pourvoir au salut de la république ; le second avait lieu quand un des deux consuls nommait un dictateur [2], usage dont Albe avait donné l’exemple à Rome.

Dans les commencements de la république, on eut très souvent recours à la dictature, parce que l’État n’avait pas encore une assiette assez fixe pour

  1. En effet, c’est la volonté générale elle-même qui décide de suspendre l’effet de toutes ses décisions antérieures ou lois, et qui confère au dictateur une puissance exécutive qu’aucun texte de loi ne limite. Il a donc un mandat parfaitement légal. Mais il ne devient pas le représentant du souverain, car la souveraineté ne peut se déléguer et, toutes les décisions que prend le dictateur, il les prend en son propre nom, parce qu’il les juge utiles et sans s’inquiéter de savoir si elles répondent ou non à la volonté générale. Le seul objet de cette volonté générale est alors d’obéir sans réserve. — Il va sans dire qu’une telle situation ne peut être qu’exceptionnelle et brève, sous peine de détruire toute liberté.
  2. (a) Cette nomination se faisait de nuit et en secret, comme si l’on avait eu honte de mettre un homme au dessus des lois. (Note de Rousseau).