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Je n’entends point par tout cela qu’il faille avoir des esclaves, ni que le droit d’esclave soit légitime, puisque j’ai prouvé le contraire [2]. Je dis seulement les raisons pourquoi les peuples modernes qui se croient libres ont des représentants, et pourquoi les peuples anciens n’en avaient pas. Quoi qu’il en soit, à l’instant qu’un peuple se donne des représentants, il n’est plus libre ; il n’est plus.

Tout bien examiné, je ne vois pas qu’il soit désormais possible au souverain de conserver parmi nous l’exercice de ses droits, si la cité n’est très petite. Mais si elle est très petite, elle sera subjuguée ? Non. Je ferai voir ci-après [3] comment on peut réunir la puissance extérieure d’un grand peuple avec la police aisée et le bon ordre d’un petit État [4].

  1. qu’elles sont en contradiction radicale avec quelques-unes des plus essentielles conditions de la vie moderne.
  2. I, ii et iv.
  3. (a) C’est ce que je m’étais proposé de faire dans la suite de cet ouvrage, lorsqu’en traitant des relations externes, j’en serais venu aux confédérations : matière toute neuve et où les principes sont encore à établir. (Note de Rousseau) (*)

    (*) Un manuscrit où Rousseau traitait cette importante question des confédérations aurait été légué par lui au comte d’Antraigues, et détruit par celui-ci, si nous en croyons son propre aveu, en 1790, dans la crainte que l’ouvrage ne contribuât à propager les idées républicaines et à « détruire l’autorité royale ». Le récit, assez obscur d’ailleurs, de cet étrange légataire me paraît des plus suspects. On le trouvera textuellement reproduit dans l’éd. Dreyfus-Brisac, p. 172.

  4. La conclusion que donne Rousseau à toutes ces réflexions en apparence contradictoires est donc en somme celle-ci : — un peuple n’est libre que si les citoyens exercent directement leur puissance souveraine en faisant eux-mêmes leurs lois ; or les conditions de la vie dans les grands États modernes, étant donné surtout qu’il n’y a plus d’esclaves, rendent une telle institution irréalisable : la liberté n’est donc aujourd’hui possible que dans de très petites cités, très pauvres, de mœurs frugales et simples, qui se défendraient contre l’étranger en formant des confédérations.