Page:Rousseau - Du Contrat social éd. Beaulavon 1903.djvu/260

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

[1]


Le même cas arrive aussi quand les membres du gouvernement usurpent séparément le pouvoir qu’ils ne doivent exercer qu’en corps ; ce qui n’est pas une moindre infraction des lois et produit encore un plus grand désordre. Alors on a, pour ainsi dire, autant de princes que de magistrats, et l’État, non moins divisé que le gouvernement, périt ou change de forme.

Quand l’État se dissout, l’abus du gouvernement, quel qu’il soit, prend le nom commun d’anarchie [2]. En distinguant, la démocratie dégénère en ochlocratie, l’aristocratie en oligarchie [3] ; j’ajouterais que la royauté dégénère en tyrannie ; mais ce dernier mot est équivoque et demande explication.

Dans le sens vulgaire, un tyran est un roi qui gouverne avec violence et sans égard à la justice et aux lois. Dans le sens précis, un tyran est un particulier qui s’arroge l’autorité royale sans y avoir droit. C’est ainsi que les Grecs entendaient ce mot de tyran : ils le donnaient indifféremment aux bons et aux mauvais princes, dont l’autorité n’était pas

  1. résister et proclamer le devoir de l’insurrection en présence d’un coup d’état. Si Rousseau ne le fait pas ici, c’est peut-être parce qu’il ne croit pas qu’un peuple puisse reconquérir sa liberté, quand il se l’est laissé ravir. Cf. II, viii.
  2. On dit plutôt aujourd’hui que l’anarchie est l’absence de gouvernement. Mais les gouvernements qu’étudie ici Rousseau peuvent être dits anarchiques parce qu’ils n’ont plus de pouvoir légitime, ayant tranché le lien qui les faisait dépendre du souverain.
  3. Ochlocratie, gouvernement de la populace ; oligarchie, gouvernement du petit nombre. — Ces mots ont reçu de l’usage une signification défavorable.