encore en s’ étendant [1], sa force deviendrait tout à fait nulle, et il subsisterait encore moins. Il faut donc remonter et serrer le ressort à mesure qu’il cède : autrement l’État qu’il soutient tomberait en ruine [2].
Le cas de la dissolution de l’État peut arriver de deux manières.
Premièrement, quand le prince n’administre plus l’État selon les lois, et qu’il usurpe le pouvoir souverain. Alors, il se fait un changement remarquable : c’est que, non pas le gouvernement, mais l’État se resserre ; je veux dire que le grand État se dissout, et qu’il s’en forme un autre dans celui-là, composé seulement des membres du gouvernement, et qui n’est plus rien au reste du peuple que son maître et son tyran [3]. De sorte qu’à l’instant que le gouverne[ne]ment usurpe la souveraineté, le pacte social est rompu ; et tous les simples citoyens, rentrés de droit dans leur liberté naturelle, sont forcés, mais non pas obligés d’obéir [4].
- ↑ Car la puissance active du gouvernement est en raison inverse du nombre de ses membres (III, ii).
- ↑ Il ne s’agit, dans tout ce passage, que de l’évolution vers laquelle tendent les gouvernements, en vertu d’une « inclination naturelle ». Mais le souverain reste toujours maître de réagir contre cette tendance, car il a le droit de « limiter, modifier et reprendre quand il lui plaît » l’autorité qu’il a confiée au prince, son délégué (III, i), et Rousseau, un peu plus loin (III, xviii), étudiera les moyens de lui assurer l’exercice efficace de ce droit.
- ↑ Car l’État est nécessairement composé des membres du souverain et de ceux-là seuls. Si les citoyens perdent leur souveraineté, ils disparaissent de l’État, ou plutôt l’État s’anéantit.
- ↑ On pourrait même ajouter qu’ils sont « obligés » de résister et proclamer le devoir de l’insurrection en présence d’un coup d’état. Si Rousseau ne le fait pas ici, c’est peut-être parce qu’il ne croit pas qu’un peuple puisse reconquérir sa liberté, quand il se l’est laissé ravir. Cf. II, viii.