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petit nombre au grand, on pourrait dire qu’il se relâche ; mais ce progrès inverse est impossible.

En effet, jamais le gouvernement ne change de forme que quand son ressort usé le laisse trop affaibli pour conserver la sienne. Or, s’il se relâchait

  1. on voit mourir un nouveau-né avant d’avoir atteint l’âge d’homme. L’expulsion des Tarquins fut la véritable époque de la naissance de la république. Mais elle ne prit pas d’abord une forme constante, parce qu’on ne fit que la moitié de l’ouvrage en n’abolissant pas le patriciat. Car, de cette manière, l’aristocratie héréditaire, qui est la pire des administrations légitimes, restant en conflit avec la démocratie, la forme du gouvernement toujours incertaine et flottante ne fut fixée, comme l’a prouvé Machiavel, qu’à l’établissement des tribuns ; alors seulement il y eut un vrai gouvernement et une véritable démocratie. En effet, le peuple alors n’était pas seulement souverain, mais aussi magistrat et juge ; le sénat n’était qu’un tribunal en sous-ordre, pour tempérer et concentrer le gouvernement ; et les consuls eux-mêmes, bien que patriciens, bien que premiers magistrats, bien que généraux absolus à la guerre, n’étaient à Rome que les présidents du peuple.

    Dès lors, on vit aussi le gouvernement prendre sa pente naturelle et tendre fortement à l’aristocratie. Le patriciat s’abolissant comme de lui-même, l’aristocratie n’était plus dans le corps des patriciens, comme elle est à Venise et à Gênes, mais dans le corps du sénat, composé de patriciens et de plébéiens, même dans le corps des tribuns, quand ils commencèrent d’usurper une puissance active ; car les mots ne font rien aux choses, et quand le peuple a des chefs qui gouvernent pour lui, quelque nom que portent ces chefs, c’est toujours une aristocratie.

    De l’abus de l’aristocratie naquirent les guerres civiles et le triumvirat. Sylla, Jules César, Auguste, devinrent dans le fait de véritables monarques ; et enfin, sous le despotisme de Tibère, l’État fut dissous. L’histoire romaine ne dément donc point mon principe : elle le confirme. (Note de Rousseau).