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2l8 DU CONTRAT SOCIAL

constitution que celle où le pouvoir exécutif est joint au législatif ; mais c'est cela même qui rend ce gou- vernement insuffisant à certains égards, parce que les choses qui doivent être distinguées ne le sont pas, et que le prince et le souverain, n'étant que la même personne, ne forment, pour ainsi dire, qu'un gouver- nement sans gouvernement.

Il n'est pas bon que celui qui fait les lois les exécute (*), ni que le corps du peuple détourne son attention des vues générales pour la donner aux objets particuliers. Rien n'est plus dangereux que l'influence des intérêts privés dans les affaires publi- ques, et l'abus des lois par le gouvernement est un mal moindre que la corruption du législateur, suite infaillible des vues particulières ( 8 ). Alors, l'État

(*) Rousseau revient ici au principe de la séparation des pouvoirs, dont il s'était cependant moqué dans le pas- sage sur les charlatans du Japon, II, n. Mais, pour lui, le pouvoir exécutif n'est pas un pouvoir absolu au même titre que le pouvoir législatif : il n'est qu'une émanation de celui-ci. Le peuple souverain concentre en lui tous les pou- voirs, mais le pouvoir législatif seul est inaliénable et indi- visible, et Rousseau soutient même que le peuple a intérêt à confier à des délégués le pouvoir exécutif, pour n'être pas détourné de sa tâche essentielle, qui est de légiférer.

( 2 ) Il faut, en somme, choisir entre deux maux : — ou bien, charger de l'exécution des lois un corps restreint de magistrats, et il est à craindre qu'ils ne détournent dans leur intérêt privé une partie de l'autorité qui leur est confiée dans l'intérêt général ; — ou bien, en charger tous les citoyens, et alors ceux-ci seront nécessairement troublés dans leur œuvre législative par la pensée des avantages personnels qu'ils peuvent retirer de l'application des lois ; ils feront donc de mauvaises lois, fondées sur l'intérêt privé et non sur l'intérêt général. — De ces deux maux, le second est de beaucoup le plus grave, car il est irrémédiable et l'État est vicié dans son principe essentiel.

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