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LIVRE DEUXIÈME 191

est autant de force ôtée au corps de l'Etat ; l'égalité, parce que la liberté ne peut subsister sans elle.

J'ai déjà dit (1) ce que c'est que la liberté civile ; à l'égard de l'égalité, il ne faut pas entendre par ce mot que les degrés de puissance et de richesse soient absolument les mêmes ; mais que, quant à la puis- sance, elle soit au-dessous de toute violence (2), et ne s'exerce jamais qu'en vertu du rang et des lois ; et, quant à la richesse, que nul citoyen ne soit assez opulent pour en pouvoir acheter un autre, et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre (a) : ce qui suppose, du côté des grands, modération de biens et de crédit ; et, du côté des petits, modération d'avarice et de convoitise (3).

(1) I, VIII.

(2) C'est-à-dire, que nul n'ait assez de puissance et nul assez de faiblesse pour que l'un puisse faire violence à l'autre impunément.

(a) Voulez-vous donc donner à l'Etat de la consistance? Rapprochez les degrés extrêmes autant qu'il est possible ; ne souffrez ni des gens opulents ni des gueux. Ces deux états, naturellement inséparables, sont également funestes au bien commun ; de l'un sortent les fauteurs de la tyrannie, et de l'autre les tyrans ; c'est toujours entre eux que se fait le trafic de la liberté publique : l'un l'achète et l'autre la vend. (Note de Rousseau).

(3) En définissant l'égalité des richesses, Rousseau ne se place pas au point de vue des besoins des hommes et de leur droit à la vie ou au bien-être : il veut enlever à la corruption politique les facilités qu'elle trouve dans l'extrême misère ; ce sont donc des considérations surtout politiques, bien plus que morales ou sociales. L'expérience a montré d'ailleurs que la misère de la masse n'est ni la seule ni même la principale condition de la corruption politique. — Quant aux moyens de réaliser cette vague égalité, Rousseau se borne ici, semble-t-il, à recommander