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sujets au terrain qu’ils occupent, devient à la fois réel et personnel : ce qui met les possesseurs dans une plus grande dépendance, et fait de leurs forces^) mêmes les garants de leur fidélité; avantage qui ne paraît pas avoir été bien senti des anciens monarques, qui, ne s’appelant que rois des Perses, des Scythes, des Macédoniens, semblaient se regarder comme les chefs des hommes plutôt que comme les maîtres du pays. Ceux d’aujourd’hui s’appellent plus habilement rois de France, d’Espagne, d’Angleterre, etc. : en tenant ainsi le terrain, ils sont bien sûrs d’en tenir les habitants.

Ce qu’il y a de singulier dans cette aliénation, c’est que, loin qu’en acceptant les biens des particuliers la communauté les en dépouille, elle ne fait que leur en assurer la légitime possession, changer l’usurpation ( 2 ) en un véritable droit, et la jouissance en propriété. Alors les possesseurs étant considérés comme dépositaires du bien public, leurs droits étant respectés de tous les membres de l’État et maintenus de toutes ses forces contre l’étranger, par une cession avantageuse au public et plus encore à eux-mêmes, ils ont, pour ainsi dire, acquis tout ce qu’ils ont donné : paradoxe qui s’explique aisément par la distinction des droits que le souverain et

(*) Rousseau considère les biens comme une partie des forces d’un homme. Voir les premières lignes du chapitre.

(2) Avant le contrat, l’homme avait dû nécessairement se proclamer lui-même maître d’un sol, de son autorité propre et sans qu’aucun droit lui ait été reconnu par les autres hommes : c’est ce. que Rousseau nomme ici usurpation.